Mise au point de la CENCO : Une réplique morale et politique à Jean-Pierre Bemba (tribune de Clément Dibwe)

ACTUALITE.CD

Dans un contexte politique tendu en République Démocratique du Congo, le Secrétariat général de la CENCO (Conférence Épiscopale Nationale du Congo), Mgr Donatien Nshole, a, ce vendredi 06 décembre, contre toute attente, réagi aux propos « acerbes » du Vice-Premier Ministre Jean-Pierre Bemba, tenus contre l’église Catholique, le 04 du mois en cours, dans une interview diffusée sur la Radio Top Congo. Cette prise de position ne se limite pas à une simple défense de l'institution religieuse ; elle s'inscrit dans une dynamique plus large où l'église Catholique se positionne comme un acteur moral et social essentiel face aux défis et aux errements du microcosme politique. À travers ce laïus de 14 points, empreint de fermeté, la CENCO réaffirme son engagement en faveur de la transparence, de la paix et du développement, tout en critiquant ouvertement les manquements et les incohérences des autorités politiques. Notre analyse explore les différentes dimensions de cette réplique, tout en mettant en lumière les stratégies rhétoriques, politiques et morales déployées par l'Église. Décryptage. 

Le ton de la réponse des ecclésiastiques est donné sans atermoiements et tout de go : « Le Secrétariat général de la CENCO a suivi avec stupéfaction les propos ahurissants, discourtois et menaçants du Vice-Premier Ministre Jean-Pierre Bemba ». L'indignation qui affleure face aux attaques est palpable, et les termes « stupéfaction » et « ahurissants » soulignent la gravité des déclarations visées, plaçant la CENCO en tant qu’autorité morale réagissant à des accusations inacceptables.

En parallèle, l'Église a trouvé « particulièrement indécent » que ses apôtres soient qualifiés de « politiciens en robes ». Cette ironie renforce l'idée que ces propos qui visent à diminuer l'autorité religieuse sont déplacés, et la CENCO transforme cette insulte pour mettre en avant son propre sérieux et sa mission. En qualifiant les propos de Bemba de « peu honorables », l'Église affirme que les attaques contre elle sont non seulement infondées, mais aussi contraires à l'éthique attendue d'un homme d'État.

Dans cette dynamique de critique, la CENCO souligne le fait que Bemba ne maîtrise aucunement le dossier des projets financés au profit des populations abandonnées du pays profond. En exprimant son affliction à ce sujet, l'Église se positionne comme une experte, renforçant ainsi sa crédibilité et son autorité, soulignant sa proximité avec les citoyens.  L’antithèse entre « affligés » et « maîtrise » met en lumière le décalage entre l’ignorance de Bemba et la compétence de l’Église.

Pour illustrer son désintéressement, la CENCO souligne que c’est à la demande personnelle et insistante du Président de la République qu’elle s'est engagée dans ces projets sociaux dont l’aboutissement est souvent compromis à cause de « la mauvaise gouvernance et la corruption » des dirigeants (dont fait partie le VPM).  Cette évocation montre a contrario l’engagement de l’Église pour le bien commun. De plus, l’énumération des actions passées crée un effet d'accumulation, consolidant l'image de l'Église comme acteur clé du développement. 

Cependant, la critique ne s'arrête pas là. En évoquant le non-respect des échéances de financement par le gouvernement, l'Église montre son désir de dialogue et de coopération. En acceptant les raisons invoquées tout en critiquant le manque de respect des engagements, l’oxymore « malheureusement » souligne la déception tout en maintenant un ton respectueux.

Poursuivant sur le thème de la transparence, l'invitation à l'IGF pour vérifier la comptabilité témoigne de l'ouverture de l'Église, qui n'a rien à cacher. L'utilisation de la première personne « nous » crée un lien direct avec le lecteur, rendant le message plus personnel et accessible.

Et dans une requête frontale, la CENCO demande au Vice-Premier Ministre de rendre publiques les preuves de ses allégations. Cette exigence met Bemba sur la défensive, l’obligeant à justifier ses accusations. La répétition du terme « preuves » renforce l'idée d'exigence et d'attente de transparence, soulignant l'importance d'une communication claire dans le domaine public.

L'Église souligne également son rôle dans le développement social en s’interrogeant, dans un registre persifleur, s’il y a dans le pays quelqu’un ne sait pas qu'elle investit chaque année des fonds immenses dans des œuvres d'utilité publique. Cette question rhétorique engage le lecteur et incite à réfléchir sur la vraie place de l'Église dans la société.

En outre, elle rappelle ses appels à la paix et à la démocratie, interrogeant sur la manière dont Bemba et ses alliés ont accueilli ses multiples appels au respect des principes démocratiques. Cette interrogation force une réflexion sur la responsabilité des acteurs politiques, et l'analogie entre les appels de l'Église et les actions politiques soulignant l’orthodoxie des uns et l’opportunisme béat des autres.

Dans un élan d'engagement, l'Église évoque les conséquences tragiques des conflits armés, réaffirmant son rôle préventif et ses efforts pour la paix. Cela renforce son autorité morale et son dévouement à défendre les valeurs de la société congolaise bafouées par ailleurs.

Un aspect particulièrement frappant de cette situation est le rappel de la visite de l'Église à Bemba lors de son incarcération. À ce moment-là, l'Église a joué un rôle de soutien, offrant une présence morale et spirituelle. Il est donc d'autant plus ironique et troublant de constater qu'aujourd'hui, Bemba se permet de vilipender l'institution qui lui a tendu la main dans un moment de vulnérabilité. Cette contradiction souligne l'incohérence de son discours et questionne sa véritable loyauté envers les valeurs qu'il prétend défendre.

En outre, la phrase « la vérité de l’histoire, renseigne la sagesse, résiste à la frivolité du temps » résonne particulièrement dans ce contexte. Elle rappelle que, malgré les attaques et les tentatives de déstabilisation, la vérité historique et les principes moraux demeureront intacts et pertinents. Cette assertion met en avant l'idée que les enjeux politiques, souvent éphémères et superficiels, ne peuvent éclipser les vérités profondes qui fondent la société. Elle invite à la réflexion sur la nécessité de se baser sur des valeurs durables et une sagesse acquise au fil du temps, des valeurs que l'Église continue de défendre dans ses actions et ses discours.

Abordant la question de la responsabilité, la CENCO souligne que « aimer quelqu'un ne signifie pas applaudir même ses erreurs ». Cette assertion met en avant la nécessité d'une critique constructive, même et surtout envers ceux qu’on prétend aimer ou servir. En faisant appel à « la sagesse élémentaire », l'Église plaide pour le bon sens et la responsabilité, renforçant sa position d'autorité morale. Cette phrase suggère qu'avant de s'exprimer en public, il est essentiel d'être bien informé et réfléchi, soulignant l'importance d’une communication responsable, surtout pour un homme d'État.

En réponse aux accusations de compromission, la CENCO affirme que l’argent reçu dans le cadre des projets à visée sociale ne doit pas être interprété comme un moyen d’acheter son silence. L'hyperbole dans « acheter son silence », renforce l'idée que l'Église ne se laissera pas corrompre, affirmant ainsi son intégrité.

La citation de Confucius, « Si l'homme a deux oreilles et une bouche c'est pour écouter deux fois plus qu'il ne parle », apporte une estocade philosophique à son message. Elle souligne l'importance de la banale écoute dans le dialogue et initie une réflexion sur la manière dont les dirigeants doivent s'exprimer.

La bénédiction finale, « Puisse le Seigneur bénir notre pays et son peuple », projette une vision positive pour l'avenir. Cette formule renforce le rôle spirituel de l'Église tout en soulignant son engagement envers le bien-être national. Ainsi, le discours de la CENCO illustre clairement l'interaction entre religion et politique, avec l'Église se positionnant comme une institution morale, critique et active dans le débat public pour le bien du grand nombre.

Lire aussi: RDC: La CENCO dénonce les « accusations infondées » et les propos « belliqueux » de Jean-Pierre Bemba

 

Clément Dibwe, Journaliste indépendant 

et chercheur en SIC (Unisic)