"Nous portons des blessures invisibles, des cicatrices psychologiques" (des déplacées internes relatent leur quotidien dans la capitale )

Photo/ Droits tiers
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Une dizaine de femmes déplacées internes fuyant les violences de l'Est du pays ont trouvé refuge dans la commune de  N’sele à Kinshasa. Bien que la sécurité semble présente, leur situation demeure précaire, marquée par une série de défis dans leur quête pour reconstruire leur vie.


Depuis plusieurs semaines, la guerre dans les provinces du Nord et du Sud Kivu, opposant les forces armées congolaises (FARDC) à divers groupes armés, a contraint des milliers de Congolais à fuir leur foyer. Parmi les déplacés, un grand nombre de femmes, souvent seules avec leurs enfants, font face à la perte de leurs biens, de leur sécurité, mais aussi de leur dignité. Celles qui parviennent à atteindre Kinshasa, notamment dans la commune de N’sele, espèrent échapper à la violence, mais découvrent un autre type de lutte pour leur survie.

Certaines d’entre elles se sont confiées ce mercredi 26 février au Desk Femme d’Actualité.cd.

Bénédicte Mafisi, 32 ans, originaire de Beni, raconte : "J'ai perdu mon mari lors des attaques, et j'ai fui avec mes quatre enfants. Nous avons erré pendant des jours avant d'arriver ici. Kinshasa semblait être un havre de paix, mais la réalité est tout autre. Trouver un logement et de quoi manger reste un défi quotidien."

Les besoins de ces femmes sont multiples : sécurité, accès aux soins de santé, éducation des enfants, et surtout, la possibilité de reconstruire un futur dans un milieu urbain qu’elles ne maîtrisent pas. Beaucoup cherchent à s’intégrer socialement et économiquement, mais se heurtent souvent à des obstacles majeurs tels que la stigmatisation, le manque d’opportunités d’emploi, et l'absence d’un accompagnement adapté.

 "Je suis partie lorsque les rebelles menaçaient d’attaquer Goma. En arrivant ici, je n'avais rien à part mes mains et ma volonté. Grâce à l’association qui nous aide, j’ai appris la couture et la fabrication de produits de nettoyage. Aujourd’hui, je peux vendre mes créations sur le marché et subvenir aux besoins de mes enfants, même si c’est encore difficile", explique Geneviève Mbakana.

Des ateliers de formation en compétences professionnelles sont organisés pour doter ces femmes des outils nécessaires à leur autonomisation. Ces formations portent sur des secteurs comme la couture, la coiffure, la restauration, voire la vente en ligne. Toutefois, un problème persiste : l’accès limité au financement pour lancer des activités génératrices de revenus. "Au départ, l’association nous a un peu aidées financièrement, mais avec la résurgence des violences à l’Est, elle a dû prioriser les femmes qui subissent encore les pires violences là-bas, ce qui a mobilisé beaucoup de moyens. Nous essayons de nous débrouiller avec ce que nous avons", ajoute-t-elle.

Les femmes déplacées internes à Kinshasa sont particulièrement vulnérables aux violences basées sur le genre. Le manque de protection et la précarité de leur situation les rendent des cibles privilégiées pour les violences sexuelles, physiques et psychologiques.

Christine, 28 ans, témoigne : "Lorsque nous sommes arrivées, j'ai été agressée par un homme dans la rue. J'ai signalé l'incident, mais il n'y a eu aucune suite. Parfois, je pense que je serais peut-être mieux à l'Est, même en plein conflit, car ici je me sens invisible et ignorée."

Julia, 38 ans, originaire de Bukavu, a fui les attaques répétées dans son village. Elle décrit sa difficile adaptation à Kinshasa : "Au début, j'avais peur de tout. La ville est si grande, si bruyante. Mes enfants et moi avons dormi sous un pont pendant plusieurs semaines avant de trouver un abri. Mais même ici, la vie est plus chère, et les gens ont du mal à nous accepter. J'aimerais qu'il y ait plus de soutien psychologique pour nous aider à surmonter ce que nous avons vécu", explique-t-elle, soulignant également la nécessité de solutions durables. "Nous ne voulons pas vivre dans la précarité toute notre vie. Nous avons des rêves, mais sans formation ni soutien, c’est difficile d’y arriver. Les enfants ne vont même plus à l'école. C'est une grande inquiétude pour moi."

Rachel Ngoy, 45 ans, arrivée de Walikale il y a quelques mois, exprime une frustration partagée par d’autres femmes : "je n'arrive pas à comprendre pourquoi le gouvernement ne fait pas plus pour nous. Nous sommes venues ici chercher la paix, mais notre situation reste la même : nous vivons dans la peur de l’avenir. On nous dit souvent que nous devons avoir de la patience, mais à quel prix ?", s'interroge-t-elle.

Elle souligne aussi un problème majeur pour ces femmes : l’accès insuffisant à des services de santé adaptés, notamment pour traiter les traumatismes liés à la guerre. "Beaucoup d'entre nous portons des blessures invisibles, des cicatrices psychologiques. Les violences sexuelles que nous avons subies à l’Est nous hantent chaque jour. Nous avons besoin de soins, non seulement pour nos enfants, mais aussi pour nous", conclut-elle.


Nancy Clémence Tshimueneka