Affaire du décès de Kabeya Senda : peut-on poursuivre la Première Ministre ?

Photo d'illustration
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Le 4 avril 2025, la Cour militaire de Kinshasa/Gombe a ouvert une procédure en flagrance concernant le décès tragique de l’agent de police de circulation routière, Fiston Kabeya Senda. Ce dernier a été battu à mort après avoir intercepté un convoi de la Première ministre Judith Suminwa Tuluka, qui roulait en sens inverse. L’incident, qui a été filmé par le public et largement partagé sur les réseaux sociaux whatsapp, facebook, X (anciennement Tweeter) et Tik-Tok, a provoqué une onde de choc au sein de l’opinion publique congolaise.

Sept policiers, commis à la garde rapprochée de la Première Ministre, ont été inculpés et traduits devant la Cour militaire de Gombe/Kinshasa pour homicide preterintentionnel et violation de consigne. Toutefois, au-delà du déroulement du procès et de l’établissement de la culpabilité des prévenus à venir, une question juridique s’invite dans les débats : la Première ministre peut-elle être poursuivie pour son rôle dans cette affaire ?

Certains juristes invoquent la théorie de l’ordre de l’autorité hiérarchique, selon laquelle une autorité en l’occurrence la Première Ministre pourrait être tenue responsable des actes commis par ses subordonnés dans l’exercice de leurs fonctions[1]. Selon cette thèse, si les policiers ont agi sur ordre de la Première Ministre ou dans un contexte où elle aurait failli à sa responsabilité de supervision, sa responsabilité pénale pourrait être engagée en tant qu’auteure intellectuelle des faits. Cependant, à bien apprécier, l’on peut se rendre compte que  cette forme de responsabilité pénale pourrait aussi s’étendre aux supérieures hiérarchiques militaires des policiers ayant exécuté l’ordre de tabassé le policier décédé, c’est-à-dire les responsables de la sécurité autour de la Première Ministre, si ces derniers ont manqué à leurs devoirs de surveillance ou ont incité à des comportements violents.

Aussi, cette hypothèse se heurte à une protection constitutionnelle qui confère au Premier Ministre une immunité pénale relative pendant son mandat. Il faudrait souligner qu’en droit pénal congolais, le Premier Ministre bénéficie des immunités de poursuite et aussi des privilèges de juridiction pendant tout le temps de l’exercice de son mandat au sein du Gouvernement. Il ne peut être poursuivi pour les faits pénaux qu’il commettrait dans ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Mais il n’en demeure pas pénalement irresponsable pour autant. En effet, pendant l’exercice de son mandat, les immunités dont il bénéficie connaissent des limites légales et procédurales. L’article 164 de la Constitution du 18 février 2006 rend pénalement responsable le Premier Ministre même pendant l’exercice de ses fonctions pour quatre infractions politiques qui sont : la haute trahison, le délit d’initié, l’atteinte à l’honneur ou à la probité et l’outrage au Parlement[2]

Pour les infractions de droit commun, prévues dans les lois pénales, commises dans ou en dehors de l’exercice de ses fonctions ne sont poursuivies qu’après la fin du mandat[3].

Me Fabrice TSHIBUYI KANKU

Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete (24396)


[1] GUINCHARD S. et DEBARD T. (2014), Lexique des termes juridiques 21e édition, Paris : Dalloz, p.801

[2] Article 164, Constitution de la RDC du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution, JORDC, numéro spécial du 5 février 2011. 

[3] KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO P-F (2021): « Modèle du régime des poursuites et de destitution du Président de la République pour les faits commis dans et hors l’exercice de ses fonctions : une étude comparative du droit franco-américain et congolais », Revue libre de Droit, pp. 5-33.