L'Angola a annoncé le début ce mardi 18 mars des négociations directes entre Kinshasa et les rebelles du M23 à Luanda. Les deux parties ont officiellement été saisies par le médiateur, aucune d'entre elles ne semble s'opposer au dialogue. Mais le professeur Muhindo Mughanda, enseignant des relations internationales dans les universités du Nord-Kivu plaide pour des discussions beaucoup plus élargies aux dépendants de deux parties, c'est-à-dire dire, lors des discussions, confier la parole aux représentants des réfugiés et ethnie que prétend défendre le M23 et les représentants du peuple congolais que prétend représenter Kinshasa. Car, note-t-il, sans un « plurilogue », ces négociations et leurs conclusions risquent d'être faites au nom du peuple qui n'y a pas participé, et servir à l'avenir d'un prétexte de rébellion à un nouveau groupe de frustrés. Entretien.
ACTUALITE.CD: Luanda annonce le début, ce 18 mars, des négociations directes entre Kinshasa et les M23, des rebelles qui occupent Goma et Bukavu, et continuent à gagner du terrain dans l'est du Congo. Comment analysez-vous cette démarche ? Peut-elle aider à ramener la paix au Congo?
Professeur Muhindo Mughanda: Les négociations étaient initialement refusées par Kinshasa pour des raisons acceptables tout comme elles ont été exigées par les rebelles pour des raisons compréhensibles. Maintenant que Kinshasa prend acte de l’initiative de la médiation angolaise, il sera question, pour Kinshasa, de mettre ses perplexités sur la table et voir comment éviter que l’histoire se répète. Pour la partie rebelle, pour autant que leur demande initiale sera exhaussée, il sera temps de faire preuve de bonne foi en ne présentant plus les questions qu’elle est censée avoir résolu pendant le temps qu’elle a occupé certains territoires congolais: ils sont censés avoir pu installer les 400.000 réfugiés dans les territoires qu’ils occupent tout comme ils sont censés avoir diminué la nuisance des FDLR. Si ces préalables sont pris en compte, une discussion menant à la paix est possible.
En RDC, il n'y a pas que la crise du M23. Kinshasa fait face à plusieurs autres crises: mauvaise gouvernance, paupérisation des citoyens, menaces de rébellions (cas de Lubanga). Nairobi et Luanda, peuvent-ils aider à guérir le Congo?
Professeur Muhindo Mughanda: La véritable crise c’est celle de la démocratie en RDC. La démocratie n’accepte ni l’arrogance de ceux qui gèrent les institutions ni celle des armes. Si la CENI en avait été une; si le parlement en avait été un; si le gouvernement en avait été un; si la justice indépendante en avait été une; on aurait évité tout ça. Les processus de Nairobi et de Luanda concernent plus ceux qui créent les problèmes et ceux qui les ressentent particulièrement jusqu’à prendre les armes. Ils concernent beaucoup moins ceux qui en sont victimes qui n’y sont pas inclus. Et ceux exclus qui auraient dû être représentés par le parlement inféodé finissent par être assimilés à la partie gouvernementale. D’ici la nécessité d’un plurilogue en lieu et place d’un dialogue. Son format comprendrait d’une part les parties en cobelligérance et d’autre part les fameux réfugiés congolais, les représentants des tribus que la rébellion dit protéger et une représentation des autres congolais. Si tel n'est pas le cas, ce dialogue et ses conclusions risquent encore d'être faits au nom du peuple qui n'y a pas participé. Dans ce contexte, il serait opportun que le fameux dialogue de Luanda démarre en même temps avec l’initiative prise par l’ECC et la CENCO pour un pacte social…De cette manière on réglerait en même temps les problèmes «privés » et les problèmes « collectifs ».
Pluriloguer. Pour quelle finalité? Dans l'Est, face au soutien Rwandais au M23, dans le grand ensemble silencieux du peuple, il y a la crainte d'une profonde infiltration du pays. Kigali serait en train de reconstituer des nouveaux contacts dans l'arène politique et militaire pour contrôler à nouveau le pays. Faut-il craindre pour la RDC?
Professeur Muhindo Mughanda: Ne faudra-t-il pas un moment classer cette question de l’infiltration parmi les mythes aussi longtemps que la RDC fera partie de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands-Lacs, ndlr) où la libre circulation des populations est garantie? Jusqu’aujourd’hui au sens du traité institutif de cette organisation internationale, les congolais peuvent entrer librement au Rwanda tout comme les rwandais peuvent entrer librement au Congo. Hormis cette prémisse qui montre que l’infiltration sociale est un fait du droit international, c’est l’infiltration militaire et politique qu’il convient d’interroger en ces termes:1. Pourquoi pour chasser Mobutu, L. Kabila s’est allié au Rwanda? 2. Pourquoi pour déstabiliser J.Kabila il fallait s’allier au Rwanda? 3. Pourquoi pour déstabiliser Tshisekedi il fallait s’allier au Rwanda?
Bref, qui invite qui?
Que faut-il urgemment résoudre pour sauver le pays et garantir la paix et le développement au pays?
Professeur Muhindo Mughanda: La paix passera par le sérieux à instaurer partout. Dans les procédures démocratiques, dans l’installation d’une administration forte; dans l’établissement d’une justice impartiale; dans la création d’une armée républicaine. Bref, dans la possibilité de redonner au congolais sa dignité.
Propos recueillis par Claude Sengenya