RDC : la « diplomatie fragmentée » de Trump, une stratégie peu orthodoxe mais efficace ? (Tribune)

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La « diplomatie fragmentée » de Trump, une stratégie peu orthodoxe mais efficace ? 

Par Roger-Claude Liwanga

Professeur de droit et de négociations internationales avancées à l’Université Emory, USA

Alors que la République démocratique du Congo (RDC) continue de faire face à une crise sécuritaire persistante dans sa partie orientale, marquée par l'activisme militaire du M23 et les tensions récurrentes avec le Rwanda, l'administration Trump a surpris plus d’un par son approche diplomatique atypique. Plutôt que de chercher à imposer un processus unifié de négociation, le président Trump a opté pour une stratégie dite de « fragmentation fonctionnelle » qui consiste à ouvrir simultanément de multiples canaux de pourparlers, traitant chacun d’un aspect spécifique de la crise avec un facilitateur distinct et un format différent. 

Dans le contexte de la crise en RDC, Trump aurait confié à l’émirat du Qatar la médiation sur les questions militaires entre Kinshasa et le M23. Il aurait cédé la gestion des sujets géopolitiques régionales au Département d’État en invitant les ministres congolais et rwandais des affaires étrangères à Washington pour la signature d’une Déclaration de Principes pour la paix. Et il pourrait éventuellement encourager un dialogue national sur les questions sociopolitiques et communautaires autour d’un autre facilitateur (et pourquoi pas autour de l’initiative conjointe CENCO-ECC).

Cependant, cette approche modulaire peu orthodoxe soulève plusieurs questions, à savoir : La démarche « trumpienne » serait-elle réellement adaptée à la complexe et explosive crise congolaise ? L’Union africaine et des organisations régionales (telles que l’EAC et la SADC) auraient-elles encore leur place dans le règlement de ce conflit ? Et si oui, laquelle ?

Une diplomatie fragmentée et ciblée

L’une des forces de cette approche fragmentée réside dans sa capacité à traiter chaque niveau de la crise selon ses spécificités. La médiation par le Qatar, pays perçu comme neutre non concerné par des rivalités géopolitiques régionales africaines et disposant d’une expertise reconnue en résolution de conflits (comme Hamas-Israël ou Darfour), permet de traiter directement le nœud militaire entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23, dans un cadre discret et moins politisé. L’objectif serait de trouver un accord sur le cessez-le-feu ou l’intégration ou non des rebelles dans l’armée nationale, sans attendre la résolution des tensions plus larges entre la RDC et le Rwanda.

Parallèlement, Washington a lancé une invitation aux ministres congolais et rwandais des affaires étrangères pour signer une Déclaration de Principes tout en précisant une date butoir pour les parties à proposer un projet d’accord de paix.  Certainement, cette approche relève d’une diplomatie pragmatique puisqu’elle presse les belligérants d’acter publiquement un engagement politique bilatéral à la non-ingérence et à la coopération régionale, créant un socle diplomatique que les futures négociations pourront renforcer. 

Enfin, l’administration Trump serait autant préoccupée par la stabilité politique nationale en RDC. De ce point de vue, il ne serait pas étonnant, par exemple, si dans les prochaines semaines Washington encourageait la société civile, les forces politiques et les communautés locales congolaises de s’engager dans un processus de dialogue pour s’attaquer aux problèmes internes de légitimité politique, de gouvernance et de gouvernance électorale. 

La coalition CENCO-ECC porte une initiative visant la cohésion nationale autour d’un dialogue inclusif, car la paix en RDC ne pourrait être uniquement construite depuis l’extérieur ou entre les acteurs militaires et étatiques. D’ailleurs, le Département d’État américain avait récemment reçu les clergés catholiques et protestants porteurs de cette initiative.  Bien que le président Trump n’ait pas encore abordé publiquement la question du dialogue politique inter-congolais, certains analystes qui étudient son approche diplomatique pensent qu’il serait à la fois naturel et logique qu’il la soutienne dans un avenir proche. 

Le rôle symbolique de l’Union africaine (UA)

A la question de savoir si l’UA aurait encore sa place dans le règlement du conflit congolais dans la démarche de Trump : le point 6 de la Déclaration de Principes conclue entre la RDC et le Rwanda reconnait les efforts des processus de Nairobi et Luanda tels que désormais fusionnés dans le cadre des pourparlers de l’EAC-SADC. Toutefois, selon l’approche américaine, il est clair que l’UA ne pourrait être l’agent vecteur dans la résolution de cette crise, car elle aurait perdu toute influence sur les parties impliquées. 

Bien entendu, puisque les trois axes de la diplomatie fragmentée de Trump ne pourraient en même temps fonctionner comme des circuits parallèles sans coordination, l’UA pourrait peut-être servir de structure d’articulation qui assurerait la cohérence politique entre les processus menés à Doha, à Washington, à Luanda et ailleurs. C’est ce rôle symbolique que pourrait dorénavant jouer cette institution continentale.

Pour conclure, en misant sur une approche non conventionnelle, l’administration Trump pourrait paradoxalement répondre à la complexité du conflit congolais avec une flexibilité que les processus traditionnels n’offrent pas. Mais Trump réussirait-il là où tout le monde aurait échoué ? Il est très tôt pour l’affirmer. Dans la crise congolaise, un coup de théâtre n’est jamais à exclure.