Japhet Tekila, Assistant au département de droit international public et relations internationales à l'université de Kinshasa.
Comprendre l'histoire nous aide à affronter notre propre époque. Cette réflexion sera particulièrement longue pour un texte écrit comme une petite note d'actualité dans le contexte d'une guerre d'agression qui semble avoir encore de beaux jours devant elle. Mais il convient d'être attentif aux signes du temps, car le temps est la vraie mesure de toute chose.
Pour revenir rapidement à l'essentiel : le M23 est-il une rébellion ?
La question résume bien toutes les difficultés de déterminer à partir de quand un acte de révolte [de rébellion pourrait-on dire] est légitime ou non? C'est-à-dire justifie le recours à la force? Les réponses possibles pourraient mobiliser un champ très vaste des connaissances allant de l'éthique au droit en passant par la politique, la philosophie, la sociologie, l'anthropologie, l'anatomie, etc. [Note: Il existe une leçon magistrale au sujet de la RÉBELLION EN DROIT INTERNATIONAL prononcée en 2015 par le professeur Olivier Corten dans le cadre du programme des cours de l'Académie de droit international de La Haye. Cette note d'actualité en a mobilisé les ressources]
Je sais également que poser cette question peut, à elle seule, susciter des soupçons, ou plus généralement une réaction émotive, passionnelle, voire sentimentale ou même romantique, comme l'aurait dit quelqu'un. Et ces réactions diverses peuvent également se traduire par des positions diverses et contrastées.
La question fondamentale ici est celle-ci : le M23 est-il une rébellion ? Comme on le sait, pour les uns, la rébellion est un terme essentiellement laudatif, tandis que pour les autres, le terme de rébellion laisse transparaître une nuance péjorative. Le « rebelle» de l'un est souvent le « terroriste» de l'autre. Nelson Mandela était jugé et condamné comme
« terroriste ». Che Guevara fut longtemps vénéré comme une icône, un rebelle héroïque, symbole de l'insoumission. Oussama Ben Laden avait été considéré d'abord comme « combattant de la liberté».
Si l'on s'en tient à son sens ordinaire, à partir du prisme juridique, est considéré comme «rebelle», celui qui ne reconnaît pas l'autorité d'un gouvernement légitime et se révolte contre lui. Ainsi, le rebelle est véritablement quelqu'un qui remet en cause non seulement l'autorité légitime mais aussi le fondement de l'exercice de son pouvoir. Dans cette perspective, la RÉBELLION est une INFRACTION. C'est ainsi le cas en droit pénal.
Si l'on passe au droit international, le terme RÉBELLION désigne « un soulèvement d'une certaine ampleur qui vise à renverser par la force le gouvernement établi ou à détacher une partie du territoire d'un État afin de créer un nouvel État ou de l'intégrer dans un autre État.» Dans le premier cas, on parle de « guerre civile», dans le second de « guerre de sécession».
On comprend pourquoi la rébellion n'est pas en tant que telle régie par le droit international puisque la guerre civile est laissée à la sphère de la compétence exclusive de l'Etat. Pour le droit international, interdire à une partie de la population d'un État de prendre les armes contre un gouvernement établi, ce serait nier le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Dit autrement, le droit international ne se prononce pas sur de tels conflits internes, affirme Jean Salmon. Ils ne sont ni permis, ni interdits. C'est ce qu'on désigne comme le « principe de neutralité».
Pour que le droit international se saisisse de la réalité d'une RÉBELLION, deux situations particulières peuvent être distinguées. Soit on est dans le cas d'un « conflit armé non international», dans lequel s'appliquent les règles du droit international humanitaire, indépendamment de la légitimité de la cause des belligérants. Soit il s'agit de simples «troubles internes», régis par les règles en matière des droits de l'homme applicables à tout acteur impliqué, insurgés ou forces gouvernementales.
Ceci dit, il existe deux volets: un volet interne de la rébellion, qui touche aux acteurs qui agissent sur le plan national, et un volet externe qui s'intéresse aux États tiers qui interviennent dans la rébellion.
C'est ce second volet qui est en jeu dans le cadre du M23. En effet, en droit international, les États ne peuvent en aucun cas apporter un appui, notamment militaire, aux forces rebelles. Sinon cela constituerait une violation à la fois du principe de non intervention dans les affaires intérieures des États et, le cas échéant, celui de l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales. Bien plus, un État ne peut invoquer la légitimité d'une cause pour prendre parti dans un conflit interne au sein d'un autre État. Au nom de quoi un État pourrait-il prétendre vouloir imposer, y compris par la force, sa conception particulière de la légitimité?
Le conseil de sécurité de l'ONU a déjà eu à rappeler le plein respect de l'ordre constitutionnel d'un État, ce qui illustre bien le fait que la Constitution représente une référence essentielle à la légitimité. De sorte que le droit international condamne les tentatives de renversement d'un gouvernement élu. Cette préoccupation traduit le respect de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l’homme dont on sait qu'ils font partie des valeurs et principes fondamentaux de l'ONU.
Autre chose. C'est une banalité de bon sens que de rappeler ce qu'ont dit les Experts des Nations unies à la création même du M23: le Rwanda est impliqué dans le recrutement des jeunes rwandais, des réfugiés congolais et d'anciens combattants démobilisés dans le rang du M23. Le Rwanda est impliqué dans la fourniture d'armes et de munitions; la facilitation du transport de ce matériel militaire et des troupes. Le Rwanda est impliqué dans l'organisation des complicités congolaises, politiques, financières et militaires. Le Rwanda est impliqué dans l'appui à des groupes armés et à l'incitation des révoltes au sein des forces armées régulières congolaises. Le Rwanda n'est pas simplement impliqué. Il est finalement l'acteur principal des interventions militaires directes de ses forces armées régulières, les RDF. Ces preuves dépassent une simple offensive militaire de circonstance, affirme Isidore Ndaywel. Il s'agit des preuves de prévision d'une longue guerre.
Que dissimule donc le M23?
Des revendications peu convaincantes destinées à masquer des raisons sécuritaires du Rwanda qui répondent à un plan stratégique marqué par l'accumulation ordonnée de brutalités, de violences et de pillages.
Au nom de quoi devrait-on dire que les revendications du M23 sont légitimes? Elles sont FAUSSEMENT LÉGITIMES. Car, en effet, l'entretien de ce climat de violence repose essentiellement sur une histoire racontée à l'envers, dont il convient de faire la chasse aux malentendus, aux fantasmes et aux contre-vérités, pour emprunter aux mots d'Isidore Ndaywel.
À grandes enjambées, les origines plurielles de cette guerre couvre l'équation démographique qui affecte particulièrement le Rwanda [430 habitants par km2], qui devrait permettre aux Congolais de prendre toute la mesure de la gravité de cette guerre. Sans une solution à ce problème d'explosion démographique rwandaise, il n'y aura jamais de paix véritable en Afrique des Grands Lacs. C'est une problématique ancienne qui remonte à la décolonisation: la question épineuse de la possible naturalisation des immigrants rwandais au Congo. L'immigration des populations des Grands Lacs est une histoire longue et ancienne. Vu du Rwanda, l'arrimage des populations rwandophones au Congo, par les deux Kivu et l'Ituri, est une question existentielle. Une question qui est posée, du côté rwandais, de manière stratégique soit par l'acquisition de la nationalité congolaise, soit par le rattachement d'une portion du territoire congolais au Rwanda. Ce n'est donc pas un hasard si tous les processus de paix initiés pour tenter de régler cette violence se focalisent sur cette double revendication. La politique de brassage/mixage au sein de l'armée fait partie de cette stratégie de faire main basse sur les Kivu.
À bientôt observer les choses, cette cinquième guerre rwandaise au Congo qui se déploie sous la bannière d'une FAUSSE RÉBELLION, semble avoir été minutieusement préparée, visiblement pour des ambitions plus importantes. Cette guerre s'accompagne d'un lot indescriptible de massacres, des velléités d'expropriations foncières, mais aussi des pillages systématiques des ressources naturelles dans les espaces conquis et occupés, avec des circuits bien déterminés à la merci des prédateurs de toutes sortes. Le cas emblématique de l'occupation de la mine de Bisie dans le territoire de Walikale, premier centre de production de la cassitérite, est exceptionnel. Des observateurs avertis ont noté que les minerais du Kivu financent les dépenses militaires du Rwanda et la modernisation de ses infrastructures.
On aura bien compris pourquoi nous défendons l'idée selon laquelle LE M23 N'EST PAS UNE RÉBELLION. Puisqu'il en est ainsi, quel est le statut juridique des accords de paix conclus entre des groupes armés et les autorités gouvernementales d'un État, du point de vue du droit international ? S'agit-il de simples engagements qui relèvent du droit interne. Ou ces accords de paix pourraient avoir le statut de conventions internationales en application du droit international coutumier? On y reviendra. Là où croît le péril, croît aussi ce qui nous sauve.