Affaire Matata et consorts : les éventuelles issues devant la Cour constitutionnelle de nouveau saisie

Matata Ponyo et ses partisans à son arrivée à la Cour de cassation
Matata Ponyo et ses partisans à son arrivée à la Cour de cassation

Renvoyé à la Cour constitutionnelle pour que celle-ci interprète les articles 163 et 164 de la Constitution, le dossier de l’affaire opposant le Ministère public aux prévenus Augustin Matata Ponyo, Patrice Kitebi et Christo Grobler attend toujours de connaître sa décision. L’opinion publique suit de près l’évolution de ce procès qui aura sans doute des conséquences importantes sur le plan politique, surtout en ces périodes des élections qui se profilent à l’horizon.

Etat de la question

Dans sa décision du 22 juillet 2022, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur les exceptions soulevées par les prévenus, entre autres l’incompétence de la juridiction. Les Conseils se sont fondées sur les articles 163 et 164 de la Constitution pour soutenir qu’un ancien Premier Ministre n’est pas justiciable de la Cour de cassation et que ces dispositions mentionnent la Cour constitutionnelle comme juridiction compétente pour juger un Premier Ministre en fonction.

-        Article 163 : « La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’Etat et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution »

-        Article 164 : « La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ».

La Cour constitutionnelle s’était déclarée incompétente sur base de ces dispositions car pour elle, Matata Ponyo n’était pas un Premier Ministre en Fonction. A présent, elle est saisie sur une question d’interprétation de ces dispositions mêmes qu’elle avait appliquée dans son précédent arrêt, surtout en ce qui concerne les termes « dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ».

Pour les Avocats du Sénateur Matata Ponyo, la Cour constitutionnelle a déjà interprété les articles 163 et 164 de la Constitution lorsqu’elle s’est déclarée incompétente dans son arrêt du 15 novembre 2021 et espèrent que cette Cour ne va pas se dédire.

Dans cette analyse, ACTUALITE.CD se propose de donner les différentes décisions possibles que peut rendre la Cour constitutionnelle dans l’interprétation des dispositions qui lui sont soumises. La question est de savoir si la Cour constitutionnelle peut trancher dans un sens contraire à celle entreprise dans son dernier arrêt sur l’affaire Bukanga Lonzo.

Examens des différentes possibilités

1.  La Cour estime avoir déjà interprété cette disposition dans son arrêt du 15 novembre 2022

1.1    Dans ce cas, la demande en interprétation soumise sera sans intérêt. Ce qui entrainera comme conséquence que la Cour constitutionnelle restera incompétente pour juger MATATA PONYO et ses co-prévénus, cette compétence étant dévolue aux juridictions ordinaires conformément à l’arrêt précité.

« La Cour considère que pendant la durée de ses fonctions, le Premier ministre ne peut voir sa responsabilité pénale engagée que devant la Cour constitutionnelle ; pour tous ses actes, y compris ceux accomplis en dehors de ses fonctions, il bénéficie d'un privilège de juridiction le mettant largement à l'abri puisque les particuliers ne peuvent saisir celle-ci. Ce privilège de juridiction prend cependant fin avec les fonctions de Premier ministre, lequel redevient à la fin de son mandat justiciable des tribunaux ordinaires », peut-on lire dans le 14ème feuillet de l’arrêt du 15 novembre 2021.

1.2. La Cour constitutionnelle peut, en tranchant dans le sens qui ne contredit pas l’arrêt du 15 novembre 2022, recevoir la requête en interprétation et donner plus d’éclaircissement des termes de des dispositions demandées.

2.      La Cour tranche dans un sens contraire à celle de l’arrêt du 15 novembre 2022

2.1   Les décisions de la Cour constitutionnelle font office de jurisprudence, considérée comme un « ensemble des décisions de justice rendues pendant une certaine période dans un domaine du droit ou dans l’ensemble du droit » (Lexiques des termes juridiques, Dalloz, 2017-2018, p.1213).

Mais si cette Cour abandonne la décision qu’elle avait pourtant adoptée antérieurement, il y a ce qu’on appelle en Droit « le revirement de jurisprudence ». Celle-ci est définie comme étant un « abandon par les tribunaux eux-mêmes d’une solution qu’ils avaient jusqu’alors admise ; adoption d’une solution contraire à celle qu’ils consacrent ; renversement de tendance dans la manière de juger » (Gérard CORNU et Henri Capitan, Vocabulaire juridique, PUF, 2014, p.588).

Ce terme n’est pas ignoré du droit Congolais dans la mesure où l’article 35 de la loi-organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétence des juridictions de l’ordre judiciaires dispose en son point 10 que la Cour de cassation « connaît des cas de revirement de jurisprudence …».

L’adoption d’une solution contraire par la Cour constitutionnelle reviendrait à dire que la Cour constitutionnelle est compétente pour juger un ancien Premier Ministre. Ce qui rendrait Matata Ponyo justiciable de cette juridiction. L’affaire reprendrait alors devant cette Cour.

2.2.  La Cour peut aussi trancher partiellement dans le sens contraire à son arrêt rendu le 15 novembre 2022, lequel ne précise pas la juridiction qui serait compétente pour juger M. Mapon. Elle se limite seulement à dire dans son 14ème feuillet que « Ce privilège de juridiction prend cependant fin avec les fonctions de Premier ministre, lequel redevient à la fin de son mandat justiciable des tribunaux ordinaires ». La Cour pourrait trancher en précisant cette juridiction ordinaire compétente, et le dossier serait alors transmis à celle-ci pour juger tous les prévenus.

Blaise BAÏSE, DESK JUSTICE