Est de la RDC: divergence des vues entre Kinshasa et les organisations sous régionales autour des initiatives diplomatiques notamment les processus de Luanda et Nairobi

Participants au sommet de la SADC à Luanda
Participants au sommet de la SADC à Luanda

Kinshasa et les organisations sous régionales ne semblent pas émettre sur la même longueur d'ondes en ce qui concerne la conduite ou le format des initiatives diplomatiques pour le rétablissement de la paix et de la sécurité dans l'Est de la RDC où la rébellion de l’AFC/M23 soutenue par l'armée Rwandaise mène ses offensives. Depuis l'occupation de Goma et Bukavu, ce mouvement rebelle proche de Kigali poursuit la progression et la conquête dans les provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu.

Alors que le sommet conjoint des chefs d'État et de gouvernement de la communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC) avait ordonné la fusion des processus de Luanda et de Nairobi afin d'améliorer leur complémentarité, le gouvernement congolais voit les choses autrement et préfère parler d'un alignement entre ces deux processus régionaux.

Devant les ambassadeurs et diplomates accrédités en RDC mercredi 5 mars 2025, la Ministre des Affaires Étrangères, Thérèse Kayikwamba est revenue sur la nécessité de relancer rapidement les processus de Luanda et de Nairobi afin de trouver des solutions diplomatiques et durables à la crise dans l'est du pays. Selon la ministre, la RDC soutient l’alignement, et non la fusion des processus de Luanda et Nairobi, précisant que les deux ont des objectifs complémentaires et que leur alignement sous l'égide de l'Union africaine est la meilleure voie pour avancer vers la paix.

"Une fois pour la République démocratique du Congo, c'est une priorité que ces processus reprennent. Donc il y a beaucoup d'échanges continus au niveau des chefs d'État dans la sous-région qui, encore une fois, ne sont pas nécessairement divulgués et qui ne font pas nécessairement l'objet de communication officielle, mais nous sentons pas seulement au niveau de la République démocratique du Congo mais au niveau aussi de la région, de la sous-région, le besoin de reprendre le plus vite possible les processus de Luanda et celui de Nairobi pour ne pas perdre le moment pour pouvoir passer à l'action rapidement. Nous voulons surtout éviter de nous retrouver dans une situation d'enlisement et dans une situation où on ne sait pas comment relancer les choses", a déclaré devant les ambassadeurs et diplomates accrédités à Kinshasa, la cheffe de la diplomatie congolaise, Thérèse Kayikwamba Wagner.

Processus de Nairobi, l'unique opportunité de discussion pour le M23

Kinshasa est clair et campe sur sa position en ce qui concerne le sort du M23. Le processus de Nairobi piloté par l'ancien Président Kenyan Uhuru Kenyatta est la seule issue pour la rébellion soutenue par le Rwanda.

"Nous avons quand-même réitéré le fait que le processus de Nairobi restait une option et la seule issue pour le M23 et encore une fois, je réitère aussi le fait que que le président honoraire Uhuru Kenyatta facilitateur du processus de Nairobi a la pleine confiance du président Félix Tshisekedi qui lui a donné carte blanche de faire usage de son rôle en tant que facilitateur pour engager les différents groupes armés en fonction aussi de son évaluation", a fait savoir Mme Kayikwamba.

Fusion ou alignement des deux processus?

Le gouvernement congolais ne soutient pas la fusion des processus de Luanda et de Nairobi mais préfère parler de l’alignement entre les deux. 

"Il ne faut pas parler de fusion, il faut plutôt parler d'alignement parce que qui dit fusion veut dire qu'on prend Nairobi et Luanda on les confond en un, ça fait carrément un nouveau processus. Ici, je dois rappeler ce que la République Démocratique du Congo a comme ligne depuis le début, nous ne négocierons pas directement avec les supplétifs du M23, c'est une position qui est connue. A Luanda, nous avons déjà tout fini en termes du travail d'experts, travail ministériel et il ne restait plus que les signatures, alors ce sont des processus qui s'alignent mais ce sont des processus qu'on ne fusionne pas parce que lorsqu'on fait la fusion ça veut dire que les deux deviennent un, non !", a déclaré le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya.

Le porte-parole du gouvernement a présenté également le processus de Nairobi comme le seul cadre de dialogue avec le M23. À l'en croire, les nouveaux facilitateurs désignés devront accompagner Uhuru Kenyatta dans la réalisation de cette mission.

"Sur le processus de Nairobi, le Président honoraire du Kénya, Uhuru Kenyatta avait commencé le travail. Il était à Bunia, Beni, Bukavu, Goma où il a eu l'occasion de s'entretenir avec les différents groupes armés mais le processus a connu un coup parce que le Rwanda a décidé de commencer à opérer avec ses supplétifs, il a été convenu déjà à l'époque d'exclure le M23 parce qu'il est hors de question qu'on donne une prime à ceux qui tuent", a insisté Muyaya. 

Eviter la confusion dans la conduite des processus régionaux

À l'issue de son séjour de travail à Kinshasa et en se basant sur l'avis du gouvernement congolais qui parle d'alignement et non de la fusion, le représentant spécial de l’Union européenne (UE) pour la région des Grands Lacs, Johan Borgstam a attiré l'attention des organisations sous régionales sur la nécessité d’éviter toute confusion dans la conduite des discussions. 

"L'Union européenne soutient fortement les processus régionaux. On prend toujours ce qu'on appelle les solutions africaines pour les problèmes africains. J'aimerais quand-même ajouter l'importance pour les organisations régionales d'éviter la confusion par rapport à l'encadrement de ces négociations, de ces efforts en cours. Pour ma part, j'ai aussi effectué des déplacements à Luanda pour m'entretenir avec les autorités angolaises et aussi à quelques reprises à Nairobi pour discuter avec les autorités Kényanes ainsi que l'équipe de l'ancien Président Uhuru Kenyatta", a indiqué le représentant spécial de l’Union européenne (UE) pour la région des Grands Lacs, Johan Borgstam.

Sans le dire explicitement, le délégué de l'UE reste dubitatif par rapport à la fusion des processus de Luanda et Nairobi tels que recommandé lors du sommet conjoint SADC-EAC tenu à Dar es Salaam en Tanzanie.

"La question des différents processus régionaux, il faut que je clarifie un peu, vous avez peut-être vu qu'il y a eu de référence à certains partenaires à une fusion entre le processus de Luanda et le processus de Nairobi mais ce n'est pas exactement clair de ce qu'une telle fusion représenterait. On a l'impression après mes entretiens ici que la perspective congolaise c'est plutôt un réalignement entre les deux processus, renforcement entre les deux processus", a éclairé le diplomate européen.

Conformément au communiqué final rendu à l'issue des travaux à Dar-es-Salaam, l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et l’ancien Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn Boshe ont été désignés facilitateurs du processus de paix conjoint EAC-SADC pour l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

La réunion ministérielle de la SADC-EAC censée se tenir à Harare au Zimbabwe pour faire avancer ce processus a été reportée sine die. La nouvelle date jusque-là n'est pas toujours fixée par le Zimbabwe, pays censé accueillir les ministres des Affaires Étrangères de ces deux blocs régionaux du continent.

Clément MUAMBA