Les femmes de Pakadjuma : entre résilience et vulnérabilité dans le marché du sexe à Kinshasa

Photo/ Droits tiers
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Dans les quartiers populaires de Kinshasa, une réalité souvent invisible prend forme : le marché du sexe. De nombreuses femmes, souvent marginalisées et précarisées, y trouvent une source de revenus pour subvenir à leurs besoins. Mais au-delà des transactions, ce secteur les expose à des risques de violence, de maladies et d'exploitation. Le Desk Femme a rencontré certaines d'entre elles pour parler de leurs motivations et des dangers auxquels elles sont confrontées.

Pour préserver leur anonymat, les prénoms utilisés dans cet article sont fictifs.

Assise sous un manguier, se protégeant contre les rayons du soleil, Sabrina, 34 ans, vit à Matonge mais préfère rester dans ce coin de la ville pour exercer la prostitution. Pour elle, cette activité est avant tout un moyen de survie dans un environnement économique difficile. La pauvreté, le chômage et l'absence de formations professionnelles sont des facteurs qui l'ont poussée à entrer dans ce secteur.
« Je ne suis pas ici par choix. J'ai fui la maison à cause de la misère. Je m’étais dit que je trouverais des moyens pour subvenir à mes besoins et à ceux de mes frères et sœurs », explique-t-elle. « La seule opportunité que la vie m’a offerte est celle-ci et je n’avais pas d’autre choix que de l'accepter. »

Au-delà des raisons économiques, les motivations de ces femmes sont souvent marquées par des parcours personnels difficiles et des choix contraints.

« Je suis venue à Kinshasa depuis mon village pour chercher du travail, mais ici, c'était l’impasse. La prostitution m'a semblé être la seule solution pour survivre », raconte Aline, 26 ans, originaire du Kasaï. « Ça ne demande pas beaucoup d’efforts, mais ça nous procure un bien-être financier et sanitaire, et ce, assez rapidement. Avec ce travail, impossible de manquer de 10.000 FC au minimum, et j’aime ça. »

Pour Lise, 38 ans, la prostitution est avant tout un besoin immédiat : « Mon mari m'a abandonnée et j'avais des enfants à nourrir. Je ne pouvais pas attendre des aides qui ne viendraient jamais. Je me suis donc lancée dans ce travail pour assurer leur avenir », explique-t-elle.

Stigmatisation et violences : des obstacles quotidiens

Cependant, derrière ce recours à la prostitution se cache une réalité bien plus sombre. Ces femmes font face à des risques multiples, allant des violences physiques et sexuelles à l'exposition aux maladies sexuellement transmissibles (MST).

« Je fais attention, mais on n'est jamais à l'abri d'une agression. Les clients peuvent être violents ou refuser de payer », confie Suzanne, 23 ans.

Outre les risques physiques, ces femmes font également face à une stigmatisation profonde qui les expose à diverses formes de violence. « Les gens nous regardent toujours comme des étrangères ou des coupables. C’est difficile d’aller chez le médecin ou même de discuter avec d’autres femmes sans qu’on me rejette », témoigne Nadia, 30 ans. Cette exclusion sociale ajoute une souffrance psychologique à leur quotidien, car beaucoup se sentent invisibles et rejetées, ce qui complique leur accès aux services de santé ou à une aide juridique.

La peur des agressions, qu’elles viennent des clients ou d’autres acteurs du secteur, fait partie intégrante du quotidien de ces femmes, qui doivent constamment naviguer entre les risques d’exploitation, les menaces de violence et la nécessité de continuer à travailler pour survivre.

« Les proxénètes sont des gens dangereux. Ils nous manipulent et nous forcent à travailler dans des conditions difficiles. Quand tu essaies de fuir, ils te rattrapent et te menacent. Beaucoup d’entre nous finissent par céder par peur », ajoute Aline.

En outre, le manque de protection sanitaire, lié à l'absence de structures adaptées, fait des travailleuses du sexe une population particulièrement vulnérable face aux infections et aux grossesses non désirées. « Je fais tout ce que je peux pour me protéger, mais les préservatifs sont souvent indisponibles ou de mauvaise qualité. Et parfois, les clients refusent de les utiliser. Cela m'angoisse chaque jour », continue Suzanne. « Nous avons besoin d’accéder à des soins de santé de qualité, mais dans ce milieu, il n’y a pas de structures qui nous accueillent sans jugement. Les hôpitaux sont souvent inaccessibles ou mal adaptés à nos besoins. Il faut une solution concrète pour protéger notre santé, mais aussi pour éviter les grossesses non désirées, car c’est un autre fardeau pour nous. »

Le marché du sexe à Kinshasa met en lumière des enjeux économiques, sociaux et sanitaires. Si la prostitution reste pour beaucoup un moyen de survie, elle expose ces femmes à des risques constants. Si certaines associations parviennent à apporter un soutien, le chemin reste encore long pour garantir une véritable protection à ces femmes, ainsi que des alternatives viables à cette activité. Les autorités, les ONG et la société civile doivent collaborer pour lutter contre la stigmatisation, améliorer l’accès à la santé et créer de réelles opportunités économiques pour ces femmes.

Nancy Clémence Tshimueneka