Du discours du Chef de l’Etat sur l’avancée des rebelles du M23 au Nord-Kivu en passant par l'expulsion de l'ambassadeur Rwandais, la célébration des 22ans de la résolution 1325 ou le recrutement de 5.000 nouveaux magistrats, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l'actualité. Maud-Salomé Ekila revient sur chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Maud-Salomé Ekila et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?
Maud-Salomé Ekila : Avec la dynamique des mouvement citoyens nous maintenons les actions et la mobilisation depuis la fin du mois de mai pour dénoncer la situation sécuritaire, alerter l’opinion publique et faire un plaidoyer fort pour la justice et pour l’adoption de mécanismes de justice transitionnelle comme ne cesse de le faire le Dr Mukwege depuis des années.
Ce que nous vivons inlassablement depuis 30 ans bientôt n’est possible que grâce à l’impunité des crimes des acteurs internationaux d’une part et bien entendu leurs relais régionaux et locaux. Ils sèment tous le chaos avec de gros moyens.
Il faut dire que les profits économiques générés par l’exploitation des minerais congolais permettent et motivent toutes ces entreprises, qui sont véritablement à la tête du monde aujourd’hui, à continuer à financer ce chaos de loin. On le voit à tous les niveaux et dans un monde totalement polarisé où la souffrance de certains peuples, les peuples africains, a moins de valeur que les victimes des récents conflits européens.
Nous condamnons fermement cette hypocrisie du monde dit bien-pensant.
La semaine a été marquée par le discours du Chef de l’Etat sur l’avancée du M23 au Nord-Kivu. Il a notamment invité les jeunes à s’organiser « en groupe de vigilance » en soutien aux FARDC. Quelle lecture faites-vous de cette allocution ?
Maud-Salomé Ekila : je pense qu’il est temps que le Chef de l’Etat assume ses actes et pose des actions concrètes pour honorer sa responsabilité de protéger sa population.
Le Chef de l’Etat n’a fait que nous mettre en danger depuis le début de son mandat. Avec cette main tendue à Kagame, avec ces nominations à des hautes fonctions de personnes qui ont fait couler le sang des Congolais en étant dans le RCD, l’AFDL, le CNDP, avec ce souhait de déployer une force régionale composée en partie de ceux qui nous agressent depuis tant d’années, ces mains rallongées des grandes puissances qui prennent le Congo pour une bijouterie à ciel ouvert.
Les ennemis de la souveraineté congolaise sont à l’intérieur de nos frontières et des institutions.
Le problème de ces personnes au pouvoir qui ne connaissent pas l’Est, qui n’ont pas vécu dans l’Est, qui n’ont pas assez été en contact avec les réalités sur le terrain et qui prennent des décisions sans consulter la société civile, sans consulter leur peuple, sans consulter ceux qui subissent et connaissent les ennemis de la Nation, c’est qu’ils pensent pouvoir être en mesure de prendre de bonnes décisions alors qu’ils font des erreurs stratégiques qui coulent toute la Nation.
Kagame s’est surement rendu plusieurs fois à Kinshasa, à Kingakati dans le secret sous le régime de son grand ami et partenaire Kabila, mais qui aurait cru que c’est sous Félix Tshisekedi que ce génocidaire rwandais aurait marché sur un tapis rouge en plein Goma sous le regard des survivantes et des familles de victimes qui ne ressentaient rien d’autres que de la nausée ce jour-là. Comment peut-il envisager de signer des accords économiques avec le Rwanda au vu de ce qui frappe notre pays depuis 25 ans au lieu de faire preuve de patriotisme en facilitant l’ouverture d’entreprises 100% congolaises de transformation de minerais afin que nous puissions enfin bénéficier de toute cette richesse ?
Felix Tshisekedi est utilisé dans un plan international avec des enjeux qu’il ne maîtrise que très très peu et s’il ne se réveille pas, ce pays risque d’être rayé de la carte plus vite qu’on ne le croit, ce qu’évidemment nous ne laisserons jamais faire.
De son discours, nous attendions des mesures concrètes et obligatoires à hauteur de l’État de crise dans lequel nous sommes, nous attendions un appel massif à la conscientisation générale, une date claire pour rassembler tous les Congolais dans chaque ville du pays pour montrer sa solidarité avec ceux qui sont en train de se battre pour nous.
Une guerre est avant tout psychologique, il doit clairement envoyer du soutien et pas des phrases répétitives. Nous attendons de lui la ferveur d’un chef d’état dont la population est en train d’être tuée au moment, dont le pays compte plus de 6 millions de déplacés internes qui ne savent pas quoi manger, qui ne savent pas où dormir avec des bébés qui meurent de faim pendant que lui boit peut-être du champagne chaque soir bien au chaud.
Un commandant est en première ligne et ne quitte pas son bateau avant que tout le monde ne soit sauvé, ne se montre pas dans une fête, pendant que sa population souffre.
Felix Tshisekedi devrait s’installer à Goma avec son gouvernement, obliger la RTNC à se mettre aux couleurs de la guerre et participer lui-même à toutes les marches qu’il pourra.
Chaque Congolaise et chaque Congolais doit à présent comprendre notre situation en profondeur, qu’il soit à Kinshasa ou à Mbuji Mayi ou à Mbandaka ou à Boma. Nous devons toutes et tous être concernés et prêt à prendre les armes pour récupérer nos localités sous occupation et défendre notre drapeau. Nous ne devons pas non plus oublier que les guerres aujourd’hui sont principalement communicationnelles. Lorsqu’il (Felix Tshisekedi) saura montrer au monde et à ses collègues africains Chefs d’État que nous vivons une injustice et des massacres faisant de nous le pays le plus endeuillé du monde depuis la deuxième guerre dites mondiale, les choses pourront commencer à changer. Il doit secouer le monde chaque fois qu’il le pourra et attirer l’attention sur ce que nous vivons et il doit prendre des décisions drastiques au lieu de faire des discours qui ne proposent aucunes actions concrètes. Notre libération ne viendra que de nous-même. Alors il est du devoir de chaque Congolais d’œuvrer à sauver notre patrie, nos ministres et lui-même en tête.
En réaction à la prise des localités Kiwanja et Rutshuru-centre, la RDC a renvoyé l’ambassadeur Vincent Karega. Pensez-vous que cette décision aura un impact réel sur l’implication du Rwanda dans l’insécurité à l’Est ? Si oui, comment ? Si non, que faut-il en plus ?
Maud-Salomé Ekila : cela fait 2 ans qu’il aurait dû faire renvoyer ce négationniste. C’était une question de dignité. Lorsque Karega a tenu des propos niant le massacre de Kasika en août 2020, nous qui sommes sortis exiger son expulsion, nous sommes faits tirer dessus par la police nationale. Certains militants ont même été arrêtés. Deux ans plus tard, le Rwanda prend Bunagana et il lui faudra encore 5 mois pour décider enfin de le mettre dehors. Si le gouvernement prend autant de temps pour chaque décision, nous n’arriverons nulle part. Nous devons nous faire respecter, et le respect ça s’impose ! A ce stade l’expulsion de Karega est une victoire symbolique et le symbole, il est vrai, a son importance, cela motive une population paupérisée qui vit la guerre de plein fouet depuis tellement d’années que parfois l’espoir se meurt. Les populations des zones touchées par les conflits doivent sentir que de l’Est à l’Ouest le Congo entier est derrière elles.
Par ailleurs, une délégation gouvernementale, conduite par le ministre de la défense, séjourne à Goma pour s’imprégner de la situation sur le terrain. Quelles sont vos recommandations ?
Maud-Salomé Ekila : j’espère qu’ils ont chaussé leurs bottes et leurs uniformes militaires et qu’ils sortent des hôtels dans lesquels ils logent pour comprendre réellement ce qui se passe. Ressentir la peur de perdre la vie devrait peut-être les motiver à prendre des décisions plus courageuses ou d’opter pour des stratégies nationales efficaces.
A ce stade, aucun dialogue ne peut fonctionner, nous devons voir la vérité en face, la dire dans tous ses recoins, sortir nos ennemis qui opèrent depuis l’intérieur de nos institutions et les juger au plus vite ! Nous ne pourrons pas gagner la guerre ni nous redresser si nous ne commençons pas par faire le ménage à l’intérieur.
En justice, 5000 candidats magistrats ont été retenus après un concours. Quel devrait être l’apport de cette nouvelle vague dans l’appareil judiciaire congolais ?
Maud-Salomé Ekila : La réforme des institutions en particulier les secteurs de la justice et de la sécurité est indispensable pour éviter la répétition des crimes. L’un des soucis majeurs est que les personnes recrutées sont souvent elles-mêmes impliquées dans des exactions. Ces nouveaux candidats doivent donc avoir un casier judiciaire vierge !
Concernant le procès sur l'assassinat de l'activiste Rossy Mukendi, la commissaire supérieure adjointe Carine Lokeso sollicite pour la seconde fois la comparution de Sylvano Kasongo pour expliquer la consigne donnée aux policiers le 24 février, la veille de la mort de l'activiste. Qu’espérez-vous de cette comparution ?
Maud-Salomé Ekila : que la justice fasse correctement son travail et que les personnes impliquées dans des graves violations des droits humains et des meurtres subissent la rigueur de la loi et soient écartés de nos institutions.
Le 31 octobre, le monde a célébré les 22 ans de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies (Femmes, Paix et sécurité). Ladite résolution recommande aux Etats de garantir la participation des femmes aux processus de paix. Quel est votre point de vue sur sa mise en œuvre en RDC ?
Maud-Salomé Ekila : la femme congolaise, particulièrement dans certaines provinces, est encore maltraitée et considérée comme n’ayant pas droit à la parole.
Dans le monde dit intellectuel, les femmes ne sont pas suffisamment intégrées et acceptées ni dans les différents processus, ni dans les différents gouvernements, ni à toutes les hautes fonctions, mais ce que je revendique à mon niveau ce sont des personnes compétentes qu’elles soient femmes ou hommes.
Nous avons dans ce pays des femmes au pouvoir qui ont un cœur semblable à de la glace et qui ont des comportements aussi catastrophiques que les hommes. En tant que femme, nous avons une force, des formes d’intelligences émotionnelles, des qualités et des capacités qui peuvent parfois dépasser celles des hommes, nous n’avons plus a débattre là-dessus, mais au stade où nous en sommes, ce dont nous avons besoin c’est de citoyennes et de citoyens qui occupent la fonction publique et de hauts postes avec dignité, intégrité et cette notion de sacrifice que beaucoup semblent mettre de côté.
Je rappelle à toutes ces personnes qui occupent de hautes fonctions, ces acteurs politiques dont les décisions ont une influence sur le cours de la vie de notre pays qu’ils sont au service de la population et non le contraire. Dans ce pays, on pense qu’il est normal qu’à la fonction de ministre soit attachée le luxe, l’opulence économique et les courbettes. Ne confondons pas les choses, ils sont là pour faire en sorte que la population vive dignement. Ils devraient faire un tour au marché pour connaître le prix de nos produits, à Pakadjuma pour pouvoir penser à des solutions concrètes et adaptées à la situation désastreuse de notre population. Ils doivent mouiller le maillot pour relever notre pays qui se trouve dans une des situations les plus précaire du monde et valoriser ceux qui malgré l’adversité rendent ce Congo fier et sont ainsi des modèles pour nous et pour les générations qui nous suivront.
Dans ce pays, on n’a pas les bons modèles, on ne valorise que la médiocrité ou les personnes qui font des profits économiques encore et encore au mépris de la population.
Au niveau international, Jessikha Inaba, une congolaise de 23 ans, est devenue la première avocate non-voyante noire du Royaume Uni après avoir rempli son cursus. Que représente cette nouvelle pour vous ?
Maud-Salomé Ekila : une immense fierté. Comme un peuple talentueux, brillant, nous avons en nous une capacité de résilience et de résistance qui pourrait nous faire réaliser de grandes choses si nous acceptions de faire ce travail de recherche de nous-même. Nous avons été dépouillés de tout ce qui nous caractérisait et aujourd’hui, nous ne rêvons que de ressembler à d’autres alors que nous pourrions apporter tellement à cette humanité.
Le chemin est long, les consciences commencent à se réveiller. Avec rien, on peut tout faire en puisant la force en nous-même comme notre sœur Jessikha qui est un modèle pour notre pays.
L’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva a remporté, dimanche soir, le second tour de l'élection présidentielle au Brésil, détrônant ainsi le président sortant d’extrême droite, Jair Bolsonaro. Quel est votre point de vue sur ces élections ?
Maud-Salomé Ekila : je ne peux que m'en réjouir. Le Brésil est dans une situation catastrophique où la ségrégation et le racisme sont un véritable fléau.
Il a énormément de choses à régler dans son pays, mais j'attends également ses prises de position sur les thématiques internationales et surtout africaines avec impatience. J'espère en ce sens avoir davantage de raisons de m'en réjouir.
Aux États-Unis, les Américains sont appelés aux urnes pour les midterms le 08 novembre. Ce sont des législatives de mi-mandat qui se tiennent deux ans après l'élection du président. Quelles sont vos attentes sur ce rendez-vous ?
Maud-Salomé Ekila : ces élections américaines ne changeront rien à l'ingérence des USA dans la politique interne et régionale de notre pays. Une politique qui n'est pas orientée vers la souveraineté réelle de la RDC.
Un dernier mot ?
Maud-Salomé Ekila : je lance un appel à tous les Congolais. Rassemblez-vous, joignez-vous à toutes les actions possibles qui pourront sortir notre pays de ce cauchemar. Engagez-vous parce que nous seuls pouvons changer notre pays, personne ne le fera pour nous et demander à des pompiers pyromanes d’éteindre un feu ne fonctionnera jamais.
C’est à nous d’arracher notre liberté ! Merci.
Propos recueillis par Prisca Lokale