Alors que les communautés de Lubero l'espéraient barrer la route aux rebelles du M23 soutenus par l'armée rwandaise qui ont quitté Kasugho vendredi 7 mars, prenant la direction de Bunyatenge, un village proche de son quartier général de Mbwavinywa, au sud du territoire de Lubero (Nord-Kivu), le général autoproclamé Kasereka Kasiyano a, lui choisi de les rallier. Et c'est à Mbwavinywa qu'il a choisi d'officialiser cette alliance avec les ennemis d'hier: l'AFC/M23. Dans une vidéo plus au moins soignée que les habituelles communications des groupes armés, avec des mentions écrites bien animées et l'hymne national comme musique de fond, Augustin Darwin, porte-parole du Front de Patriotes pour la Paix- Armée du Peuple (FPP-AP) de Kabido lit une déclaration annonçant l'adhésion du Front commun de la résistance (FCR), une plateforme composée des groupes armés FPP-AP de Kabido et NDC-R/M de Mapenzi, un ancien proche de Guidon Shimirayi, à l'Alliance Fleuve Congo (AFC/M23) de Corneille Naanga.
Dans cette déclaration lue le 7 mars à Mbwavinywa et qui n'a été rendue publique que ce 9 mars, Augustin Darwin justifie leur allégeance à la rébellion soutenue par le Rwanda par plusieurs griefs. Il évoque l'affairisme des militaires congolais qui se sont transformés en commerçants des minerais, le retrait sans explication des militaires au front, commettant à leur passage dans des entités, des actes de pillage, de viol et de tracasserie de populations. Mais pas seulement, ils déplorent également la "non prise en compte de sacrifices des groupes d'autodéfense" par les autorités qui leur privent de "logistique pour la défense de l'intégrité du pays". Pour la coalition de Kabido, il s'agit d'une trahison qui les conduit à tourner le dos à Kinshasa et rallier plutôt l'AFC/M23 qui milite, d'après eux, "pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption". D'autres griefs, ce ne sont que des génériques qui sortent des bouches de tous les opposants au régime de Kinshasa: la coalition de Kabido dénonce les détournements et la corruption qui gangrènent la gouvernance à Kinshasa. Cette coalition qui continue à se présenter comme des wazalendo ("patriotes" en Swahili) note qu'elle va défendre l'intégrité territoriale de la RDC avec "les autorités dignes de foi", c'est-à-dire les rebelles du M23 soutenus par Kigali.
L'un des groupes influents du Nord-Kivu
Aux côtés de Nduma Defense of Congo Rénové (NDC-R) de Guidon Shimirayi et l'APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain) de Janvier Karahiri, le FPP-AP qui vient de faire allégeance au M23 est l'un des groupes armés les mieux structurés et influents du Nord-Kivu. De Mbwavinywa, son QG érigé dans le Sud de Lubero, le mouvement du général Kabido a réussi à étendre son influence jusqu'à la porte de la Tshopo, via la région aurifère de Manguredjipa. Avec ses unités présentes dans des dizaines de villages de Lubero, ses hommes vivent des jetons mensuels qu'ils imposent aux habitants majeurs dans les villages, du contrôle des mines d'or et des taxes de péage qu'ils perçoivent à des points de contrôle qu'ils ont érigés sur des principales voies de desserte agricole.
Un partenaire complexe
A l'annonce de l'association des groupes armés locaux à la lutte contre les rebelles du M23, le FPP-AP fut l'un des premiers groupes dits wazalendo à rejoindre la dynamique. En décembre 2023, le général Kasereka Kasiyano Kabidon affirmait à ACTUALITE.CD que son unité était déployée à Rutshuru. A la naissance de l'Alliance Fleuve Congo (AFC) en décembre 2023 à Nairobi, Corneille Naanga déclarait que son alliance était composée de plusieurs autres groupes armés dont le FPP-AP. Ce qu'avait aussitôt démenti le général Kabido et son entourage. Dans une déclaration à ACTUALITE.CD, il avait affirmé que son mouvement combattait plutôt les rebelles du M23. Mais à la chute de Goma, l'opinion a été surprise de la nomination par l'AFC/M23 de Désiré Ngabo, un proche de Kabido, comme maire adjoint de Goma. Depuis 2023, cet ancien porte-parole de Guidon Shimirayi agissait comme président du mouvement de FPP/AP du général Kabido. Une nomination qui n'avait suscité aucune réaction de la part du FPP-AP, au point de susciter l'inquiétude dans le chef des observateurs des dynamiques de wazalendo. Un mois plus tard, c'est le tour du général Kabido et ses lieutenants de faire officiellement allégeance au M23.
Du discrédit aux mouvements wazalendo
Cette adhésion à l'AFC interroge la loyauté des mouvements wazalendo vis-à-vis de Kinshasa. Un chercheur sur la dynamique des conflits présent à Butembo a partagé avec ACTUALITE.CD son inquiétude de voir les forces armées congolaises se faire facilement infiltrés par cette dangereuse coalition FARDC-Wazalendo, un mélange jugé de peu pertinent par Joseph Kabila.
"On est Muzalendo par déclaration. Et de facto, l'armée congolaise vous associe à la planification et exécution des plans de guerre. C'était dangereux et risquant de se faire infiltrer", commente le chercheur qui craint également pour le départ de NDC-R de Guidon Shimirayi soupçonné depuis, de rouler pour Kigali dans son business des minerais de Walikale.
ACTUALITE.CD a tenté sans succès de joindre M. Kabido. Mais l’authenticité de la vidéo a été confirmée par l’ancien président du mouvement, actuellement membre de l’AFC/M23.
Ce départ de Kabido, l'un des soutiens importants de Kinshasa dans ce combat contre le M23, discréditent ainsi ses anciens alliés wazalendo qui tentent de rassurer. Seulement ce dimanche, ACTUALITE.CD a enregistré la réaction d'au moins quatre mouvements: l'UPLC basé à Kalunguta sur l'axe Butembo-Beni, la Synergie des mouvements wazalendo Front Nord basé à Butembo, le Mai-Mai Kifuwafuwa basé à Walikale et une faction du FPP-AP de l'Ituri qui dénoncent le comportement du général Kabido. L'UPLC du général-major autoproclamé Germain Mayani le qualifie de paria et menace de le traiter comme tel. Des déclarations qui illustrent que le FPP-AP aura des difficultés à partir avec toutes ses factions.
"S'il arrive à persuader nombreux de ses lieutenants disséminés dans tout le Lubero, ça sera compliqué pour Kinshasa et les FARDC. Car, l'on pourra considérer que le M23 aura de facto des béquilles dans plusieurs villages avancés et il n'y aura plus de combats à mener pour conquérir ces villages déjà occupés par ses nouveaux alliés. On dirait donc l'axe Mbwavinywa-Bunyatenge-Kasugho-Muhanga-Ombole-Manguredjipa serait considéré comme déjà conquis", explique notre chercheur interrogé.
Dans le cas contraire, la tâche aurait été difficile pour les FARDC appelées à combattre désormais l’AFC/M23 et ses alliés wazalendo.
Claude Sengenya